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Raymond II de Roquefeuil au IVème concile de Latran

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En 1215, il y a exactement 800 ans, Raymond II de Roquefeuil intervenait au quatrième concile de Latran pour plaider la cause de Raymond Roger Trencavel, dépossédé de ses biens par Simon de Montfort. 

La généalogie des seigneurs de Roquefeuil, d’abord chez une branche des Anduze, puis chez les Pujols de Blanquefort, n’est établie de manière continue que depuis le mariage vers 1129 (ou 1140) d’Adélaïs de Roquefeuil avec Bertrand d’Anduze, dont le fils Raymond Ier épousa en 1169 Guillemette de Montpellier. C’est peu après, il y a exactement 800 ans, qu’en 1215 se tenait le quatrième concile du Latran. Avant de relater l’intervention de Raymond II de Roquefeuil, il y a lieu de rappeler l’importance considérable pour les familles, et pour la nôtre en particulier, de ce concile.

 

Reconnaissance du mariage comme sacrement

D’un point de vue théologique le concile reconnaissait le mariage comme un sacrement (le septième). C’est-à-dire : « un signe sensible et efficace de la grâce, institué par le Christ et confié à l’Église, par lequel nous est donnée la vie divine. » Ce n’était pas reconnaitre que le mariage était indissoluble car cela avait été clairement déclaré par le Christ et constamment rappelé par la suite ; mais c’était reconnaître officiellement que le mariage était un lieu de sanctification à l’aide de la grâce. Jusque-là, certains théologiens (mais pas tous(1)) considéraient que c’était seulement le lieu où on pouvait commettre l’acte de chair sans pêcher, une sorte de pis-aller par rapport à la vie religieuse. Les Cathares, dont l’hérésie était combattue par le concile, portaient un grand mépris au mariage. Lors du concile, l’Église reconnaissait une grande dignité au mariage et par là à la famille légitime. Cette reconnaissance de la sainteté du mariage rendait plus facile la possibilité de relever un religieux de ses vœux, car le mariage lui ouvrait une autre manière de se sanctifier, même si les deux vocations conservaient leur différence de niveau(2). Ce n’est donc pas un hasard si la tradition Roquefeuil du moine relevé de ses vœux est généralement située après ce concile.

 

Réduction du nombre des degrés de parenté prohibés

Du point de vue pastoral, le concile définit le degré prohibé pour un mariage au quatrième degré, c’est-à-dire que les époux ne devaient pas avoir de trisaïeul commun, qu’ils ne devaient pas être cousins issus-issus de germains. Cela peut paraître lointain mais, jusque-là, à la suite d’une mauvaise interprétation d’un passage de l’écriture, il ne fallait pas être cousin au septième degré(3). C’est-à-dire descendre d’un des parents de l’arrière grand-père (ou de l’arrière-grand-mère) de l’arrière grand-père (ou de l’arrière-grand-mère) de son conjoint ! Personne ne peut répéter cette règle sans effort !

À titre d’exemple, en prenant les trois alliances Roquefeuil-Roquefeuil du XXème siècle, aucune n’aurait pu avoir lieu sans dispense. Jean de Roquefeuil Montpeyroux était cousin au sixième degré de Guillemette de Roquefeuil (Auvergne) ; Louis de Roquefeuil Montpeyroux au cinquième degré de Ghislaine de Roquefeuil Montpeyroux. Si Alain de Roquefeuil Cahuzac était cousin au quatorzième degré, du côté Roquefeuil, de Mireille de Roquefeuil Montpeyroux, il l’était au sixième par les Pontbriand (mais le savaient-ils ?).

C’était tellement loin qu’à la campagne presque tout le monde devait être dans ce cas (mais sans en avoir conscience faute de registre d’état civil). Les princes et les grands seigneurs l’étaient aussi, sauf quelques-uns qui s’étaient mariés fort loin, pour respecter la règle. Le roi Henri Ier avait dû épouser la russe Anne de Kiev. Un seigneur de Montpellier une princesse grecque, etc. C’était la mondialisation avant l’heure !

Mais si l’un d’entre eux voulait répudier sa femme, il commandait des recherches généalogiques et, la plupart du temps, arrivait à ses fins. Parfois la parenté était découverte par une personne plus ou moins bien intentionnée et les époux, même s’ils n’en avaient pas l’intention, devaient se séparer. C’était aussi soumettre à l’autorité du pape, qui pouvait toujours accorder des dispenses, presque toutes les alliances.

En revenant à des règles plus simples et en facilitant les possibilités d’obtenir des dérogations, l’Église stabilisait les familles. Elle permettait ainsi de se marier dans son voisinage. Ce qui n’était pas sans incidence sur les patrimoines familiaux. Par les jeux des dots et des héritages, certains auraient dû sans cette nouvelle règle s’établir très loin de chez eux, rompre avec leurs attaches familiales, et adopter des mœurs nouvelles.

De Jean de Roquefeuil, marié en 1495, à Jacques-Aymar, dernier marquis du Bousquet avant la Révolution, aucun chef de cette branche n’aurait pu épouser sa femme, sans dispense. Augustin de Roquefeuil, dernier marquis de Cahuzac, avant la Révolution, aurait certes pu épouser sa deuxième femme la champenoise Louise Gabrielle de Flavigny, mais pas sa première femme, la tarnaise Catherine de Verdun. En remontant jusqu’à Tristan, marié en 1500 à Jeanne de Lémozi, sur neuf alliances, trois seulement auraient été possibles sans dispense ! La vie de la famille en aurait été profondément modifiée !

 

L’intervention fameuse de Raymond II de Roquefeuil

Raymond II de Roquefeuil fut entendu, bien que laïc, au quatrième concile du Latran en 1215. Voici les circonstances. Raymond Roger Trencavel était le plus puissant seigneur du Midi après le comte de Toulouse. Il était vicomte d’Albi, d’Ambialet et de Béziers, et vicomte de Carcassonne et de Razès. Bien qu’il ne fût pas cathare, il protégeait ceux-ci.

Lors de la croisade, il fut fait prisonnier par Simon de Montfort et mourut dans un cachot en 1209, laissant un fils Raymond Trencavel. Simon s’empara de tous ses biens, déshéritant ainsi le jeune Raymond. Or Raymond Roger avait épousé Agnès de Montpellier, cousine germaine de Raymond II de Roquefeuil. Celui-ci entreprit de défendre son neveu, bien évidemment innocent de tout ce que les croisés reprochaient à son père, puisqu’il n’avait que cinq ans au moment des faits.

Il alla donc plaider vigoureusement la cause de Raymond Trencavel devant le concile du Latran en 1215, comme le rapporte le texte suivant(4) :

”Ramon de Rocafolhs a en aut escridat :

“Senher dreitz apostolis, merce e pietat

Aias d’un effan orfe, jovenet ichilat,

Filh de l’onrat vescomte que an mort li crozat,

En Simos de Montfort cant hom li ac lhivrat.

Ladoncs baichec Paratges lo tertz o la mitat,

E cant el pren martiri a tort et a pecat.

E no as en ta cort cardenal ni abat

Agues milhor crezensa a li crestiandat.

E pois es mort lo paire el filh dezeretat,

Senher, ret li la terra, garda ta dignitat !

E si no lailh vols rendre, Dieus t’en do aital grad

Que sus la tua arma aias lo sieu pecat !

E si no la hi lhivras en breu jorn assignat,

Eu te clami la terra el dreg e la eretat

Al dia del judici on tuit serem jutjat !

Baros,” ditz l’us a l’autre, ”mot l’agent encolpat.

Amix” ditz l’apostolis, ”jaer be emendat”

 

Ce qui signifie :

« Raymond de Roquefeuil s’est écrié :  « Seigneur, vrai père, aie merci d’un enfant orphelin d’âge tendre et banni. Aie merci pour le fils de l’honorable comte de Béziers, tué par les croisés et par Simon de Montfort quand on le lui livra. Car de tiers ou de moitié ont décliné noblesse et courtoisie, depuis que, sans tort et sans péché un tel baron a été martyrisé. Car il n’y a pas dans la Cour, cardinal ou abbé dont la croyance soit plus chrétienne que la sienne. Mais puisqu’il est mort, à son fils déshérité rends sa terre et sauve ainsi ton honneur… Rends lui tout à jour fixe et prochain, sinon je te demanderai tout : la terre, le droit, et l’héritage au jour du jugement dernier, ce jour où tu seras jugé … »

– “Barons” se dit-on l’un à l’autre ”il a bien présenté sa revendication”.

– “Ami” dit le pape, “justice sera faite.” »

Nonobstant son intervention, les croisés réussirent à faire excommunier Raymond de Roquefeuil dès 1215. Il ne fut relevé de cette excommunication qu’en 1226. Raymond Trencavel, quant à lui, ne réussit à reprendre Carcassonne que quelques années de 1216 à 1226. Il échoua de peu en 1240, et il renonça à ses biens en 1246. Il partit à la croisade et mourut peu après 1263. Il n’en reste pas moins que l’intervention de Raymond II au concile non seulement attestait l’importance de sa situation dans la société féodale mais était une des actions les plus glorieuses jamais réalisée par un Roquefeuil : défendre, envers et contre tous un orphelin, et cela en pure conformité avec  l’idéal chevaleresque.

 

Fulcran de Roquefeuil

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Notes :

1-La bonté du mariage avait été défendu auparavant par les conciles suivants : Gangres (340) Tolède (Vème s) Braga (541) Toulouse, Latran II…

2-La « vocation » au mariage est naturelle, tandis que la Vocation à la vie religieuse est un appel spécifique et surnaturel.

3-Cette règle avait été retenue par le Concile de Rome de 1063.

4- « La chanson de la croisade contre les Albigeois, commencée par Guillaume de Tudèle et continuée par un poète anonyme » par Paul Meyer Tomes 1 et 2.

 

 

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